Dans le cadre de la loi Sapin 2 dédiée notamment à la transparence de la vie économique, le législateur prévoit de donner au Haut conseil de stabilité financière (HCSF) le pouvoir de bloquer temporairement les sorties de contrats d’assurance-vie en euro. En cours d’examen à l’Assemblée Nationale, c’est l’une des deux mesures qui visent à préserver le secteur de l’assurance-vie des risques liés au contexte de taux d’intérêt historiquement bas.
Un double objectif pour cette mesure
C’est en juin dernier lors des premières discussions parlementaires de la loi Sapin 2, qu’est apparu un article 21 bis via un amendement déposé par le député Romain Colas et soutenu par le gouvernement.
Cet amendement revient actuellement en discussion devant les députés. Il vise à prendre des mesures conservatoires en cas de risques de crise dans deux situations principales liées à l’environnement actuel des taux d’intérêt:
-soit dans un contexte de prolongation de taux très bas ou négatifs qui ne permettraient plus aux compagnies d’assurance vie d’assurer du rendement et pourrait même les fragiliser;
-soit à l’opposé en cas de brutale remontée des taux qui ferait baisser la valeur des obligations présentes dans les fonds euros.
Davantage de pouvoir pour le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF)
Cet article prévoit d’étendre les compétences du Haut Conseil de Stabilité Financière. Le HCSF est l’autorité chargée d’exercer sous l’autorité du ministre des finances et des comptes publics Michel Sapin, la surveillance du système financier dans son ensemble.
L’article 21 bis de la loi Sapin 2 précise que, pour prévenir des risques représentant une menace grave pour la situation financière des personnes assurées ou d’une partie significative d’entre elles, le HCSF pourra sur proposition du gouverneur de la Banque de France, décider de « suspendre, retarder ou limiter, pour tout ou partie du portefeuille, le paiement des valeurs de rachat, la faculté d’arbitrage ou le versement d’avances sur contrat ».
Vers un gel temporaire possible des rachats ?
En pratique les épargnants ayant souscrit des contrats d’assurance-vie qui voudraient effectuer des retraits sur leurs fonds en euros pourraient se voir contraints de patienter avant de pouvoir y procéder. Le but de cette mesure est d’éviter qu’en cas de situation critique, certains épargnants ne se précipitent pour retirer leurs avoirs, créant ainsi une crise plus sévère.
Romain Colas, auteur des amendements à l’origine de l’article 21 bis rappelle que cette possibilité n’est prévue « que dans le cas de menaces graves pour la stabilité du système financier ou la situation financière de l’ensemble des organismes ». Elle serait limitée à trois mois, renouvelable.
Un contrôle dans la fixation des taux de rendement
Les avertissements répétés aux assureurs du Président de la Banque de France, François Villeroy de Galhau et de son prédécesseur Christian Noyer n’ont pas été suivis de suffisamment d’effet. Alors que selon eux les exigences de rentabilité des investisseurs devaient être revues à la baisse, certaines compagnies d’assurance continuaient à se montrer trop généreuses lors de la fixation des taux de rendements 2014 et 2015, de leurs fonds en euros.
L’article 21 bis prévoit donc une autre mesure qui permet au HCSF de « moduler les règles de constitution et de reprise de la provision pour participation aux bénéfices ».
Les assureurs utilisent cette provision pour lisser les rendements, en période de taux bas. En cas d’application de cette mesure, les assureurs verraient leurs marges de manœuvre réduites lors de la fixation du rendement.
L’inquiétude des professionnels
Le vote de ce projet de loi démontre que le gouvernement et les autorités financières françaises veulent agir par anticipation pour parer une éventuelle crise financière. La députée Karine Berger évoque des mesures « extrêmement puissantes », qui peuvent se révéler « très efficaces » en cas de crise financière.
Mais elles suscitent de fortes interrogations du côté des professionnels. Selon le président de l’Afer, Gérard Beckerman, « les compagnies d’assurance-vie détiennent tous les moyens pour faire face à ce risque via ce que l’on appelle la réserve de capitalisation, alimentée par les plus-values obligataires encaissées lors des périodes de taux bas ».
Les professionnels sont aussi dans l’attente d’un assouplissement afin de tenir compte des cas exceptionnels de la vie courante. Ils s’agit des situations où « les retraits sont nécessaires pour faire face aux aléas de la vie: décès d’un proche, licenciement, baisse de revenus lors de la retraite », explique le président de l’Afer qui qualifie le texte de « techniquement erroné ».
Aux détracteurs du texte, le député Romain Colas répond que « le premier intérêt de l’épargnant, c’est bien qu’il ait la garantie que son capital soit préservé ».
Le recours aux unités de compte pour l’épargnant ?
De plus en plus de compagnies limitent désormais l’accès à leur fonds en euros. Comment? En conditionnant tout versement dans ce support à un taux minimum – qui peut être différent selon le montant des capitaux – de versement sur des unités de compte. Sans garantie du capital, ces dernières fluctuent en fonction des marchés mais laissent espérer sur la durée des gains supérieurs en échange d’un risque plus élevé.
Ces premiers changements constituent une modification importante pour les épargnants totalement sécuritaires, qui doivent abandonner la garantie du capital, mais peuvent espérer une meilleure performance.
Si l’article 21 bis est voté, le mouvement vers les unités de compte pourrait s’accélérer. Non seulement dans le but d’une recherche d’une meilleure performance, certains épargnants pourraient être tentés d’arbitrer leurs fonds en euros au capital garanti, pour des unités de compte, qui ne seraient pas concernés par cette mesure de blocage.