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18 juin 2016

Michel Lemosof

« Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! » Cette exhortation du comte d’Auteroche à la bataille de Fontenoy, en 1745, trouve aujourd’hui un écho singulier chez les investisseurs, notamment en Europe, pour qui, tant que les résultats du référendum du 23 juin ne seront pas officiellement connus, l’incertitude est trop forte pour prendre franchement position dans les marchés. La plupart attendent donc l’arme au pied !

Stop ou encore ?

Outre-Manche, les bookmakers donnent le « Remain » (la Grande-Bretagne reste dans l’Union européenne) gagnant, avec une probabilité de l’ordre de 70 %, face au « Leave » (la Grande-Bretagne quitte l’Union européenne). En effet, la cote est basse pour quelqu’un qui mise sur un non-événement et élevée pour quelqu’un qui table sur un changement de périmètre. Certains professionnels ont commandé des sondages sortis des urnes, le jour même du vote, pour prendre de vitesse les autres intervenants dans les marchés financiers. Celui qui détient une information décisive avant tout le monde espère ainsi s’assurer un avantage de taille.

Bien entendu, les intentions de vote peuvent encore varier. Les indécis d’aujourd’hui feront peut-être le résultat de demain ! En tout cas, le scrutin peut être lourd de conséquences pour l’économie britannique et pour celle d’autres pays. Alors que les salles de marché brident leurs initiatives, les stratégistes, eux, ne se privent pas d’argumenter.

« Compte tenu des enjeux politiques et économiques et des effets potentiellement récessionnistes d’un Brexit, déclarent les experts d’Ecofi Investissements, on comprend mieux les mobilisations des Etats-Unis avec le président Obama ou, plus surprenant, de la Chine, qui rompt ainsi avec sa tradition de non-ingérence.

L’OCDE a chiffré à 5.000 £ par an et par ménage le coût d’un Brexit dans son scénario pessimiste. Le recul cumulé sur le PIB serait de 7,7 % en 2030. Cependant, même si les Britanniques décidaient de rester dans l’Union européenne, les nuages au-dessus de l’économie mondiale ne se disperseraient pas pour autant. Il faut dire que le regain de vigueur du dollar et l’atonie de la demande mondiale donne du crédit à la théorie de la stagnation séculaire. Selon cette thèse, expliquent-ils, la période d’expansion économique intervenue depuis la révolution industrielle serait une anomalie historique dont la poursuite est condamnée par l’excès d’épargne accumulé dans les pays émergents, le recul des dépenses d’investissement et un vieillissement de la population mondiale.

Enfin, à ces trois facteurs vient s’ajouter le fait que les innovations technologiques (Internet…) ont un effet moins important sur la croissance que par le passé (train, avion, électricité…). Sans réformes de structure et mesures de relance budgétaire, le potentiel de croissance est appelé à baisser, comme cela semble déjà le cas aux États-Unis. »

Sur le fil du rasoir

Compte tenu de la contribution du Royaume-Uni au budget de l’Union européenne et de son statut de cinquième puissance économique planétaire, un Brexit aurait des implications pour l’Europe, pour les marchés financiers et pour les investisseurs du monde entier. Selon Laura Sarlo, analyste spécialisée dans la dette souveraine chez Loomis Sayles & Company, les marchés internationaux devront faire face à de nouvelles turbulences cet été si les électeurs se prononcent pour une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.

« Les marchés devront affronter au moins deux défis dans l’éventualité d’un Brexit, souligne-t-elle. Premièrement, les marchés financiers ne sont pas très doués pour évaluer les risques politiques. En effet, de nombreux acteurs du marché sont davantage formés et ont une longue expérience de l’évaluation des risques financiers les plus communs - tels que les risques de crédit ou d’inflation - plutôt que des risques politiques. Deuxièmement, continue-t-elle, l’utilité des sondages britanniques est mise en question. On peut citer l’exemple des sondages d’intentions de vote réalisés en mai dernier à l’occasion des élections générales britanniques, qui se sont avérés très éloignés du résultat final. »

En cas de Brexit, les marchés financiers pourraient connaître de fortes fluctuations. Par ailleurs, de leur côté, les agences de notation de crédit devraient probablement « pénaliser » le Royaume-Uni si le Oui l’emportait. La livre sterling, qui sert de variable d’ajustement, est sous pression depuis le début de l’année, en raison d’un risque de dépréciation durable dû aux risques éventuellement encourus et d’un affaiblissement du soutien des taux d’intérêt à la devise.

Le secteur financier serait, en outre, fragilisé si le nombre de pays de l’Union européenne passait de vingt-huit à vingt-sept. Le secteur des services financiers ferait face à des coûts de transaction plus élevés au sein de l’Union européenne que ceux actuellement en vigueur dans le cadre du marché unique européen. Si la Norvège et la Suisse constituent des modèles de comparaison potentiels, les investisseurs n’en sont pas moins plongés dans l’incertitude, ce qui ne facilite pas la prise de décision.

« Si le Oui l’emportait, fait pour sa part remarquer Sam Martin, directeur de la recherche chez AEW Europe, le gouvernement britannique devrait notifier son intention de se retirer de l’Union européenne au Conseil européen, conformément à l’article 50 du Traité sur l’Union européenne. Cette disposition donnerait deux ans au Royaume-Uni et à l’Union européenne à compter de la date de notification pour négocier un accord de retrait. Pour les investisseurs, l’un des aspects les plus importants de ces négociations serait le degré d’accès aux marchés européens que le Royaume-Uni conserverait, mais également la nature des accords et traités commerciaux pouvant être négociés avec les pays non-membres de l’Union européenne. »

Une bureaucratie tatillonne

« Le mouvement en faveur du Brexit n’est pas nouveau : il a commencé à prendre de l’ampleur au milieu des années quatre-vingt-dix avec la création du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (Ukip). En 1975, 67 % des électeurs ont voté pour le maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne. En 2014, l’Écosse a organisé un référendum sur son indépendance. Les résultats ont alors été beaucoup plus serrés, avec 55 % des électeurs contre la sortie du Royaume-Uni. Les résultats du référendum sur le Brexit devraient être tout aussi serrés, voire encore plus. »

Les principaux reproches que les partisans du Brexit adressent à l’Union européenne concernent :

  • une bureaucratie et des formalités administratives « excessives »,
  • l’ouverture avec les autres pays européens qui favorisent l’accroissement du nombre de migrants, perçu comme « indésirable »,
  • la contribution obligatoire du Royaume-Uni au budget européen
  • ou encore la perte de souveraineté du Royaume-Uni avec la création d’un super-État européen.

Les « inconvénients » seraient une réinstauration des droits de douane, une perte de l’accès actuel au marché unique, un impact négatif sur la City (10 % du PIB) et une chute des investissements, sans parler d’une résurgence inflationniste ou d’une baisse de la croissance, mais la solvabilité du pays ne semble pas, le cas échéant, devoir être remise en cause. Et, pour l’heure, le Royaume-Uni demeure le plus grand marché d’investissement immobilier en Europe…

Pour Philippe Waechter, chef économiste de Natixis Asset Management, le référendum du 23 juin est avant tout « politique ». Comment faire la part des choses entre les arguments économiques des partisans du maintien et des arguments politiques des partisans du Brexit ?

« En fin de compte, constate-t-il, on observe bien souvent une sorte de réflexe conservateur qui pousse les gens à résister au changement. »

Le Royaume-Uni a tiré parti du vaste marché unique européen de plus de 400 millions d’âmes dans lequel biens, capitaux et personnes circulent librement. Ce marché a mis la concurrence au premier plan et renforcé la productivité ainsi que la compétitivité entre les sociétés dans l’Union européenne tout entière. Le PIB britannique par habitant a augmenté plus rapidement depuis l’adhésion du Royaume-Uni à la CEE (ancêtre de l’UE), enregistrant une hausse de 10 %, « révélatrice de l’interaction entre productivité et commerce ». L’Union européenne paraît aussi avoir eu un impact positif sur les salaires. Ouvrir la boîte de Pandore pourrait modifier la situation des travailleurs européens au Royaume-Uni, notamment en ce qui concerne la retraite, et faire surgir la question du coût des prestations d’assurance-maladie pour les Britanniques ayant, par exemple, pris leur retraite en Espagne. Selon Philippe Waechter, un Brexit créerait en Europe une incertitude telle que le marché américain pourrait alors être considéré comme une « valeur sûre »…

Les banques centrales à la rescousse

Chez Henderson Global Investors, Paul O’Connor, responsable de la gestion multi-actifs, estime que les Britanniques voteront pour le statu quo. Le Brexit est pour lui un risque extrême et non un scénario central. Cependant, par précaution, les gérants maison ont, pour atténuer l’éventualité d’un recul des cours, effectué des changements dans les portefeuilles dont ils ont la charge : réduction de l’exposition aux petites et moyennes capitalisations anglaises fortement dépendantes de l’économie domestique, diminution des participations immobilières, neutralisation des risques de change et, afin de pouvoir profiter de replis de marché, maintien d’un pourcentage élevé de liquidités.

Pour les Britanniques, l’Union européenne est un projet économique qui a un coût politique alors que, pour les autres membres, celle-ci est un projet politique qui offre des avantages économiques. Les spécialistes de Legg Mason indiquent que, dans sa version la plus simple, le débat portera essentiellement sur le commerce, les investissements et l’immigration. Et de lister à leur tour les conséquences d’un Brexit (auquel ils ne croient pas) : chute de la livre sterling, des actions et des obligations d’entreprises britanniques et européennes, tension sur les rendements des emprunts d’État britanniques, repli des intérêts obligataires des pays du cœur de l’Europe (déjà très bas !), regain de volatilité.

« Toutefois, supposent-ils, la Banque d’Angleterre et la Banque centrale européenne injecteraient des liquidités importantes sur les marchés pour empêcher la propagation de l’instabilité à l’ensemble du système bancaire et pour calmer les marchés. Une fois les négociations entamées et un calendrier fixé, nous pourrions voir s’inverser les tendances. »

En cas de vote en faveur du Brexit, note pour sa part Julien-Pierre Nouen, directeur des études économiques de Lazard Frères Gestion, l’aversion au risque augmenterait à court terme, mais il faut se poser la question de l’impact à moyen terme sur la capacité bénéficiaire des entreprises ou sur le niveau des taux d’équilibre. Pour le stratégiste, la livre sterling pourrait baisser de 20 % ! Le Royaume-Uni affiche un des déficits courants les plus élevés parmi les grands pays. Celui-ci s’est accru durant les derniers trimestres, notamment à cause de l’impact de la baisse du prix des matières premières sur les profits des entreprises des secteurs énergétique et minier.

Un impact limité pour l’Europe

« Le déficit, commente-t-il, est aujourd’hui supérieur à ce qu’il était en 1974, avant l’intervention du FMI de 1976, ou au début des années quatre-vingt-dix, avant la sortie de la livre du Système monétaire européen. Un déficit courant doit être financé en attirant des capitaux du reste du monde. Le Brexit réduisant l’attractivité du Royaume-Uni, une baisse significative de la livre pourrait être nécessaire pour rééquilibrer la balance des paiements. Cela dit, même en cas de maintien, ce déficit courant pèserait sur la devise britannique. »

« A court terme, poursuit-il, la hausse de l’incertitude et la baisse de la livre auront plusieurs conséquences. L’investissement devrait chuter, l’inflation accélérer et la consommation ralentir, du fait du renchérissement des importations. D’après les estimations du Trésor britannique, le PIB pourrait se contracter de 0,4 % en rythme annualisé pendant quatre trimestres dans un scénario de Brexit où le choc reste contenu et de 2 % si le choc est très violent. Néanmoins, l’impact pour le reste de l’Union européenne devrait rester assez limité. Si les exportations vers l’Union européenne représentent 13 % du PIB britannique, les exportations vers le Royaume-Uni ne représentent que 3 % du PIB de la zone euro. Dans le scénario noir, la perte de croissance pour la zone euro devrait être de l’ordre de 0,3 %-0,4 %, à comparer à une tendance de croissance qui devrait être de l’ordre de 1,6 %-2 %. »

Pour les spécialistes d’Edmond de Rothschild AM, l’analyse du Trésor britannique ne laisse aucun doute sur l’intérêt d’avoir adhéré à l’Union européenne et d’y rester.

« Le gouvernement faisant officiellement campagne pour le maintien, écrivent-ils dans une récente note, un document émanant de l’administration a été suspecté d’esprit partisan. Toutefois, contrairement au Foreign Office, le Trésor a toujours été prudent sur l’Europe et avait pris position contre l’adhésion à l’euro en 1999. Il n’est d’ailleurs pas isolé dans son jugement, même si le débat reste très ouvert chez les économistes… Ce qui apparaît comme un appauvrissement en termes absolus pour les ménages n’est qu’une évolution relative. En présentant ses chiffres comme un coût alors qu’ils constituent plutôt un manque à gagner, le Trésor a adopté un biais de présentation pour maximiser l’impact de ses conclusions. »

En dépit des économies réalisées sur les contributions annuelles au budget de l’Union européenne (8 milliards de livres), une croissance économique plus faible se traduira par de moindres recettes fiscales et par des prélèvements supplémentaires. Le fonctionnement au jour le jour de l’économie britannique est intégré à celui de l’Union européenne. Difficile et coûteux de revenir en arrière ! Mais, comme le dit un vieil adage, dans les référendums, les électeurs ne répondent pas toujours à la question posée.

Pour conclure, citons Winston Churchill : « Les Britanniques sont avec l’Europe et non dans l’Europe. » La période d’expectative devrait bientôt prendre fin…

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