C’est sans doute aller un peu vite en besogne. La Russie, l’Inde et le Brésil, notamment, sont aussi de vastes territoires qui regorgent de richesses et de potentialités. Toujours est-il que c’est la Chine qui fait l’objet d’une actualité permanente. Il est vrai que son état de santé est très important pour les marchés.
Une situation sous contrôle
Chez Vega Investment Managers, Eva Balligand, gérante du fonds Vega Emerging, rappelle que la chute des actions chinoises en début d’année a été « de loin la plus impressionnante ». Indicateurs économiques « mitigés », hausse « inquiétante » du crédit, ralentissement de la croissance, tensions sur le change (qui auraient entraîné une contraction des réserves), le marché n’a pas manqué d’arguments pour expliquer l’ampleur du mouvement.
Au premier trimestre, la Chine, qui représente 16 % du commerce mondial (autant que les Etats-Unis), « surprend agréablement » avec une croissance de 6,7 %. Au plus bas depuis 2009, ce niveau correspond pourtant aux objectifs de Pékin. Grâce à des mesures « exceptionnelles » telles que l’allégement des conditions d’achat de biens immobiliers, les baisses des taux directeurs et du ratio de réserves bancaires « orchestrés » par la banque centrale de Chine, la situation semble « sous contrôle ». Par ailleurs, un changement de politique (abandon du mode de fixing quotidien basé sur l’évolution des marchés au profit du retour à une fixation administrée face à un panier de devises) a permis aux autorités chinoises de réaliser un « tour de force » : réduire le différentiel entre le cours coté offshore et le cours coté on-shore.
« Face aux signaux de relèvement des taux de la Réserve fédérale américaine, indique aussi Eva Balligand, stabiliser le yuan est plus que jamais une priorité. Si la situation s’améliore, tout risque n’est cependant pas écarté. L’immobilier, les surcapacités de production et la dette sont susceptibles de peser sur la stratégie mise en place par Pékin. L’endettement des entreprises serait passé de 98 % du PIB fin 2008 à 160 % aujourd’hui. »
Sur le plan financier, rien ne paraît arrêter la transformation en marche. Commencée par Shanghai Hong-Kong Connect en novembre 2014, l’ouverture du marché ne fait que s’accélérer. L’année 2016 marque également un tournant avec l’ouverture des marchés obligataires et actions. La dette émise en renminbi par les acteurs étrangers pourrait atteindre l’équivalent de 1 800 milliards d’euros d’ici à 2025.
« Il est important de garder à l’esprit, note encore la gérante, qu’avec 8.900 milliards de dollars, le marché obligataire chinois est le troisième plus gros marché obligataire au monde. »
Autre élément à prendre en compte : cela fait près d’un an que MSCI travaille aux côtés du régulateur chinois en vue d’intégrer l’an prochain les actions A (à l’origine réservées aux Chinois) au sein de ses principaux indices boursier, alors que les actions H (cotées à Hong-Kong) font déjà partie des indices MSCI. La perspective d’un rapprochement entre les places de cotation de Shenzhen et de Hong-Kong constitue un véritable « catalyseur » pour susciter l’intérêt des investisseurs.
Un gros paquebot
Les experts de Gemway Assets ont dernièrement passé deux semaines dans l’empire du Milieu pour faire le point sur l’avancement des réformes, mesurer le sentiment des consommateurs et détecter des tendances. Ils ont rencontré une quarantaine de dirigeants de sociétés dans des secteurs variés : Want Want, Hengan et Intime Retail, dans la consommation courante, DongFeng Motors, Great Wall Motors et Saic, dans l’automobile, China Life Insurance, New China Life et Pacific Insurance, dans l’assurance, ainsi que Baosteel, dans la sidérurgie.
« En un mot, expliquent-ils, l’économie chinoise continue sur sa tendance de long terme de ralentissement, ce qui ne nous surprend pas. Mais, afin de diriger le gros paquebot qu’est devenue cette deuxième économie mondiale, le gouvernement n’a d’autres choix que de suivre la politique du deux pas en avant, un pas en arrière. Aussi, afin de ménager les industries traditionnelles dont le poids reste encore important, le gouvernement s’est engagé depuis l’été dernier dans un mini-plan de relance. Ce stimulus, qui a redonné un souffle d’air aux entreprises endettées arrive désormais à son terme, selon nous. On le voit d’ailleurs dans la forte contraction du crédit en avril. En revanche, poursuivent-ils nous ne sous-estimons pas l’importance du 13e plan quinquennal (2016-2020), dont les deux objectifs principaux sont d’améliorer la qualité de vie des Chinois (air, eau, santé…) et de permettre la montée en gamme de l’appareil industriel. Ce plan crée des opportunités de croissance tout à fait intéressantes dans de nombreux secteurs, au premier rang desquels figure la consommation. »
Dans le secteur de la consommation courante, Hengan, leader chinois de l’hygiène féminine, des couches-culottes et des mouchoirs en papier, a fait part de ses inquiétudes sur la très forte intensité concurrentielle qui règne dans le secteur en termes de prix. En revanche, pour Zhongsheng, le concessionnaire Mercedes, Land Rover et Porsche, sur le premier quadrimestre, les ventes croissent de 17 % par rapport à la période comparable. La limite fixée sur le nombre d’immatriculations dans les grandes villes a plutôt tendance à favoriser les marques premium. Des solutions de financement peu onéreuses, voire gratuites, facilitent naturellement les achats. Pour les produits courants, il y a une compétition « acharnée », alors qu’il existe une prime « à la différenciation ».
Les gérants de Gemway Assets soulignent la tendance à l’internationalisation et à la montée en gamme des entreprises chinoises, avec une part plus significative de la valeur ajoutée à l’exportation, sans oublier que le marché domestique est « immense ». En manque de talents et de technologies de pointe localement, les entreprises chinoises accélèrent donc leurs acquisitions à l’étranger.
« Sur les quatre premiers moins de l’année, précisent-ils, elles ont dépensé l’équivalent de 111 milliards de dollars, soit un montant légèrement supérieur à celui déboursé sur toute l’année 2015 ! Par exemple, le spécialiste des pièces détachées pour l’automobile Joyson Electronics, coté à Shanghai, a effectué son premier pas à l’international en 2001 avec l’acquisition de l’allemand Preh, à l’époque deux fois plus gros que lui. Actuellement, la société attend de lever du capital afin de financer deux autres acquisitions : KSS, spécialiste américain des solutions de sécurité (airbags, Adas), et la division de navigation de l’allemand TechniSat Digital. On s’approche de la voiture connectée. Dans les deux cas, comme avec Preh, la direction prévoit de garder les équipes existantes et d’augmenter les budgets de R&D. »
Une percée de l’économie digitale
De son côté, la direction de Minth (leader chinois des pièces de structure et de décoration pour l’automobile) est, en une dizaine d’années, parvenue à augmenter la part du chiffre d’affaires réalisée à l’étranger de 9 % à 40 %. Elle a aussi diversifié sa base de clientèle, historiquement « un peu trop axée » sur les constructeurs japonais (39 % en 2015, contre 68 % en 2005). Avec des usines non seulement en Chine, mais aussi au Mexique, en Allemagne et en Thaïlande, la firme a pour stratégie de devenir une plateforme globale bénéficiant d’un « effet d’échelle ». Elle s’est, en outre, associée avec le japonais Fujitsu (caméras pour voitures) et avec l’américain Haartz (décoration intérieure). L’objectif est de doubler son chiffre d’affaires d’ici à 2020, tout en augmentant ses marges.
Autre illustration du dynamisme des sociétés chinoises : le leader de l’électroménager Midea vient de faire une offre d’achat sur 30 % du capital de l’allemand Kuka (robotique et automatisation). Cette annonce intervient après une prise de participation majoritaire, l’an dernier, dans l’activité électroménager de Toshiba. Objectif : se développer davantage hors de Chine et, à plus long terme, produire des robots d’assistance à usage domestique ou médical. L’ambition chinoise de devenir un leader mondial s’affiche également dans les semi-conducteurs, avec des groupes comme Tshinghua Unigroup ou Hua Hong Semiconductor. Le gouvernement prévoit de dépenser 24 milliards de dollars dans ce secteur, encore très fragmenté, au cours des prochaines années. Les débouchés ne manquent pas : industrie, transport ferroviaire, automobile, LED, etc.
Enfin, GoerTek, une entreprise cotée à Shenzhen, également positionnée sur le marché prometteur de la réalité virtuelle, fournit des solutions acoustiques à Apple, Samsung et autres fabricants de smartphones. « Il n’est désormais plus un secret, indiquent les experts de Gemway Assets, gérants du fonds GemEquity, que le prochain iPhone sera résistant à l’eau, ce qui est possible avec des composants acoustiques de technologie supérieure. » GoerTek et son concurrent AAC Technologies, coté à Hong-Kong, sont les deux seuls fournisseurs de telles solutions pour Apple.
Pour sa part, Emmanuelle Wilbrod, spécialiste en investissement chez BNP Paribas Investment Partners Asia, relève que l’économie digitale ne se limite pas, en Chine, au commerce en ligne. Elle concerne de nombreux secteurs et s’étend largement au-delà du secteur de la consommation de base. L’économie digitale chinoise croît à l’un des rythmes les plus rapides au monde. De surcroît, la Chine ne compte que 483 millions d’Internautes. Dans l’absolu, aucun pays n’est devant, mais, le taux de pénétration rapporté à la population est inférieur (35 %) à celui des pays les plus avancés. L’augmentation de ce taux de pénétration devrait permettre à l’économie digitale chinoise de se développer encore davantage, alors que les plateformes mobiles représentent 51 % des ventes en lignes en Chine, contre une moyenne mondiale de 35 %.
« La transformation digitale de l’économie chinoise, estime Emmanuelle Wilbrod, devrait donner naissance à de tout nouveaux marchés et accroître la productivité de la chaîne de valeur. Elle devrait renforcer considérablement l’efficacité et les opportunités d’allocation optimisée du capital. Etre leader du secteur technologique fait partie du rêve chinois, de la vision à long terme de l’économie et de la société. Pour autant, les entreprises digitales sont sous-représentées dans les indices boursiers. Les technologies de l’information ne représentaient, en effet, que 7,5 % de l’indice CSI à fin avril 2016. Les équivalents d’Amazon.com, eBay et Uber talonnent leurs concurrents américains. Leur avenir semble prometteur compte tenu du nombre de consommateurs en Chine. »
Attention ! Les performances passées ne préjugent pas des performances futures.
Avant d’investir, consultez le Mémento de l’investisseur en Bourse.