Le 14 juin, le rendement du Bund allemand à dix ans (emprunt d’Etat de référence) est passé pour la première fois de son histoire en dessous de zéro (- 0,02 %). Deux jours plus tard, c’était au tour de l’emprunt suisse à trente ans de procurer un rendement négatif (- 0,03 %). Une telle situation a de quoi inquiéter : les épargnants se demandent comment ils vont pouvoir préserver leur pouvoir d’achat.
La mesure de toute chose
Avec un livret A qui rapporte 0,75 % par an, la France fait figure de pays de Cocagne ! Cela dit, les contrats en euros de l’assurance-vie, qui sont pour l’essentiel investis en obligations, vont continuer à voir leurs rendements fondre. Pour 2016, la moyenne pourrait descendre sous les 2 %. C’est un phénomène mécanique.
Les politiques non conventionnelles d’assouplissement monétaire des banques centrales ont fait reculer les rendements obligataires en territoire négatif, imitant l’exemple japonais. Pour beaucoup d’observateurs, prêter avec une rémunération négative dépasse l’entendement. Certains se rassurent en se disant que la situation ne durera peut-être pas très longtemps, que l’inflation va repartir et que la croissance économique va s’accélérer. Toujours est-il qu’elle a plutôt tendance à se généraliser.
« Le passage du taux du Bund sous le seuil symbolique de 0 % va pousser les Allemands à reconsidérer leurs habitudes en matière d’épargne, fait observer Stefan Kreuzkamp, directeur des gestions de Deutsche Asset Management. Les obligations allemandes à dix ans sont la mesure de toute chose en finance. Leur passage en territoire négatif est la manifestation symbolique d’un revirement important de notre environnement financier. La disparition d’une telle référence en matière de taux d’intérêt fausse toutes les autres classes d’actifs. Dans un tel scénario de taux négatifs, il y a seulement quelques gagnants, versus une majorité de perdants. Les épargnants allemands sont dans le second camp, car la part de leur épargne est supérieure à celle de la moyenne des autres pays, tandis que leur exposition au marché des actions et à l’immobilier est encore faible. »
Bernard Aybran, directeur de la multigestion chez Invesco AM, précise, pour sa part, que Bank of Tokyo Mitsubishi UFJ, la principale banque japonaise par la taille du bilan, réfléchit à la question de quitter le groupe des spécialistes en valeurs du Trésor, l’activité de placement des titres à rendement négatif « dégageant désormais des marges trop faibles, voire inexistantes ». Et d’ajouter que, devant les taux d’intérêt négatifs appliqués par la Banque centrale européenne (BCE), une banque allemande « de premier plan », la Commerzbank, pourrait stocker tout ou partie de ses réserves, non plus à la BCE mais… dans un coffre-fort !
Défier les lois de la gravité
Dans une note intitulée « Bienvenue au club ! », Andrew Bosomworth, managing director et gérant de portefeuille chez Pimco, fait le point sur cette évolution des taux d’intérêt. Si l’Allemagne et la Suisse sont des pays très différents, malgré leur proximité géographique, les historiens de la finance devraient se souvenir du 14 juin 2016 comme du jour où il y a eu une différence en moins : ce jour-là, l’Allemagne a, elle aussi, enregistré des taux négatifs sur ses emprunts d’État à dix ans.
« Le Bund allemand, explique le professionnel, a vu son rendement tomber en terrain négatif pour plusieurs raisons : le résultat de plus en plus incertain du référendum sur l’Union européenne au Royaume-Uni, la politique de taux négatifs de la BCE et ses 80 milliards d’euros d’achats d’obligations mensuels et, enfin, les forces séculaires qui font baisser le taux des investissements et augmenter le taux d’épargne. S’il s’agit d’une nouveauté pour l’Allemagne, il n’y a rien là de neuf pour la Suisse. En effet, le rendement des emprunts à dix ans de la Confédération est négatif depuis début 2015 et rapporte, si tant est ce terme soit approprié lorsque l’on parle de taux négatifs, à présent - 0,5 %. »
L’expression « contre nature » est celle qui décrit le mieux les taux d’intérêt négatifs. Mais, selon Andrew Bosomworth, l’histoire de la finance suggère que la situation pourrait perdurer. « Le marché peut rester irrationnel plus longtemps que vous ne pouvez rester solvable », avait déclaré l’économiste John Maynard Keynes. Et le spécialiste de Pimco de rappeler le surnom donné au marché des emprunts d’État japonais dans les années 90 : le « faiseur de veuves », en raison de la capacité des rendements obligataires à « défier les lois de la gravité ».
« Par conséquent, même si investir dans des obligations à taux négatifs n’est pas ce qu’il y a de plus excitant, pourquoi se hâter, s’interroge-t-il, de prédire la fin de ce phénoménal marché haussier que connaissent les emprunts internationaux ? De fait, les positions synthétiques au comptant et à terme, qui exploitent la différence entre les taux effectifs et les taux implicites aux opérations de pension livrées sur les obligations, sont plus judicieuses que jamais dans cet environnement de faibles rendements. Ce n’est qu’un exemple de ce que nous appelons les opérations à alpha structurel qui tentent d’exploiter les primes sur le marché obligataire, afin d’améliorer les rendements. Le moment n’a jamais été aussi propice à la gestion active. »
Cap sur les emprunts privés
Alors que le débat s’intensifie sur les résultats des banques centrales, Maxime Alimi, économiste chez Axa Investment Managers, estime qu’il n’est pas du tout « clair » que la politique monétaire soit devenue inefficace, voire contre-productive. « En revanche, indique-t-il, plus le temps passe, et plus cela deviendra probable. » Les taux d’intérêt bas et l’afflux de liquidités augmentent le risque d’inflation, même si celle-ci est actuellement proche de zéro en zone euro, et de formation de bulles dans les marchés. Les mesures d’assouplissement quantitatif (quantitative easing) remettent en question la stabilité financière. Dans ces conditions, entre autres solutions, Serge Pizem, responsable de la gestion multi-classes d’actifs chez Axa IM, surpondère la dette d’entreprise à haut rendement (duration courte), compte tenu de l’extension du programme d’achat de la BCE aux obligations d’entreprises.
« Nous avons réduit notre biais long en duration sur les obligations d’État de la zone euro, précise-t-il, de façon à prendre nos profits. »
Chez Sycomore AM, Stanislas de Bailliencourt et Emmanuel de Sinety, gérants-associés, parlent de marché « obligataire atypique ». Ils relèvent que les taux courts se transmettent à l’économie réelle et que, depuis deux ans, les crédits aux ménages et aux entreprises sont en « nette reprise ». Cependant, les conséquences financières et politiques négatives des taux négatifs sont nombreuses :
- impact sur l’activité des assureurs,
- augmentation des engagements de retraite,
- sentiment de « répression financière »,
- perte de confiance dans la monnaie,
- risque de montée de l’euroscepticisme…
Le fonds Sycomore Sélection Crédit a réalisé en trois ans et demi une performance annualisée de 4,6 %, avec une volatilité limitée à 2,2 %. Il comprend plus de cent lignes :
- Groupe ADP (Paris Aéroport),
- EDP (Energias de Portugal),
- Société Foncière Lyonnaise (SFL),
- Paprec Group,
- EIR Group,
- Schaeffler Gruppe,
- SGL Carbon,
- Pierre & Vacances, etc.
Les pressions déflationnistes (chômage élevé, effets démographiques, digitalisation/ubérisation) et réglementaires, ainsi que la nécessité de « monétiser » les déficits fiscaux, militent en faveur de taux d’intérêt durablement très bas. Il faut donc s’attendre à des phases de volatilité.
Attention ! Les performances passées ne préjugent pas des performances futures.
Avant d’investir, consultez le Mémento de l’investisseur en Bourse.