Le prix de l’or noir a une importance considérable pour les pays importateurs comme pour les pays exportateurs. Deux spécialistes, pour qui les points bas sont derrière nous, analysent la situation.
Une offre menacée de déclin
Selon Roberto Cominotto, gérant sur le secteur de l’énergie chez GAM, société de gestion de fortune dont le siège est à Zurich, estime qu’un retournement de tendance durable est proche, et ce grâce à la baisse de la production américaine de pétrole.
« Même si la volatilité sera toujours de mise, précise le professionnel, nous arrivons bientôt à un tournant sur le marché du pétrole. La crise actuelle du prix du pétrole est due à un problème d’offre. La production de gaz de schiste aux États-Unis a explosé en même temps que l’Opep atteignait sa pleine capacité de production. En face, la croissance de la demande n’a jamais été aussi forte. La réduction des investissements - la plus forte jamais vue dans l’industrie du gaz et du pétrole - va inéluctablement conduire à une baisse de l’offre. Comme la demande va quant à elle rester forte, la surproduction devrait être absorbée durant le second semestre 2016, ce qui se répercutera sur les prix. »
Pour beaucoup d’observateurs, le très net redressement des prix du pétrole depuis la mi-février est dû aux négociations entre la Russie et l’Opep pour geler la production. Pour l’expert de GAM, c’est surtout le résultat du ralentissement de la production américaine et la perspective d’un meilleur équilibre entre l’offre et la demande pour le second semestre qui ont permis le rebond. D’après lui, l’échec des négociations de Doha était prévisible, puisque l’Iran avait refusé de participer à ce gel de la production. Pour l’Arabie Saoudite, il n’y avait pas de raison de changer de stratégie, maintenant que le pays est assuré de pouvoir « inonder » le marché et d’« évincer » les autres pays ayant des coûts de production plus élevés. Et d’ajouter :
« Un gel de la production aurait pu avoir un effet positif à court terme, mais n’aurait finalement pas changé grand-chose dans la confrontation offre/demande, étant donné que la majorité des producteurs ne sont pas réellement en mesure d’augmenter leur production dans les douze mois à venir. Par ailleurs, l’Arabie Saoudite a tout intérêt à ne pas laisser les prix grimper trop vite et trop tôt. Plus les prix restent bas longtemps, moins les autres producteurs vont être enclins à investir et plus le marché du pétrole va se resserrer dans les années à venir. »
Le facteur décisif d’un retournement de marché en 2016 reste la baisse de la production américaine. La chute des investissements s’est fait ressentir plus rapidement dans l’industrie américaine du gaz de schiste que dans le secteur pétrolier classique. La diminution de plus de 75 % des puits de pétrole en activité aux États-Unis depuis le second semestre 2014 s’est traduite ces dernières semaines par une accélération de la baisse de la production.
« Cette tendance, affirme Roberto Cominotto, devrait persister dans les prochains mois. Le moteur de croissance de l’offre mondiale de pétrole de ces six dernières années est entré dans une phase de sévère déclin. Même si cette évolution est un facteur clé pour comprendre le marché en 2016, à partir de 2017, le plongeon des investissements au niveau mondial va commencer à affecter l’extraction de pétrole partout dans le monde, ce qui pourrait se traduire par un déficit de l’offre. »
Une demande corrélée à la consommation
Depuis fin 2014, le démarrage de nouveaux et grands projets pétroliers est quasiment au point mort. Compte tenu du temps particulièrement long nécessaire à la mise en place de ce type de projets, le déclin naturel du nombre de puits de pétrole en activité et la croissance continue de la demande, une pénurie de l’offre d’ici à deux ou trois ans ne peut être exclue. Le cas échéant, le gaz de schiste américain, qui ne représente qu’environ 5 % de la production mondiale, ne pourra pas combler cette pénurie. À moyen terme, les prix du pétrole devraient donc revenir à des niveaux auxquels les producteurs seront incités à investir. Pour la majeure partie de la production pétrolière mondiale, ces niveaux se situent aux alentours de 70 $ le baril.
La levée des sanctions contre l’Iran et la baisse de la demande mondiale ont souvent été citées en début d’année comme raisons de la chute des cours du pétrole. L’Iran va augmenter cette année sa production de 0,7 million de barils par jour, mais cela devrait être « plus que compensé » par la baisse de la production américaine. En outre, l’imminence d’une crise de la demande n’a rien d’évident. L’an dernier, la demande s’est accrue plus fortement que jamais depuis la crise financière de 2008. L’augmentation porterait sur 1 million de barils de plus par jour en 2016. Le ralentissement économique en Chine est également régulièrement mentionné pour expliquer le recul des cours du pétrole depuis un an et demi.
« Contrairement à ce que l’on croit, fait remarquer le spécialiste de GAM, la demande de pétrole n’est pas corrélée aux investissements dans les infrastructures, mais à la consommation. Les importations chinoises de pétrole restent élevées et ont affiché une croissance stable durant les dernières années. L’augmentation substantielle du nombre de voitures vendue en est la principale cause. La majorité de ces voitures ne viennent pas remplacer des voitures plus anciennes mais sont des véhicules supplémentaires sur les routes chinoises. De plus, les Chinois ont manifestement tendance à préférer les grosses voitures et les SUV [Sport Utility Vehicules]. »
Du fait que les panneaux solaires continuent leur percée, une « autre erreur commune » est de penser que les énergies renouvelables seraient moins attractives maintenant que les prix du pétrole ont baissé. Jusqu’ici, rien ne prouve que le bas coût des matières premières ait des répercussions sur l’installation de source d’énergie renouvelable, malgré une crise du prix du pétrole qui dure depuis dix-huit mois. Les projets solaires et éoliens ont une durée de vie comprise entre vingt et trente ans. Les investisseurs en pacs solaires ou éoliens basent leurs décisions d’investissement sur des scénarios concernant les prix de l’électricité sur les vingt ou les trente prochaines années. Les fluctuations à court terme des prix de l’énergie sont donc « sans conséquence ». De plus, sur beaucoup de marchés, les prix de l’électricité provenant d’énergies renouvelables sont fixés pour vingt ans. Les sources d’énergie renouvelables gagnent en importance, notamment grâce à la forte demande des États-Unis, de la Chine, de l’Inde et d’autres pays émergents.
Regain de confiance vis-à-vis de l’énergie
En 2015, les nouvelles installations de sources d’énergie solaire ont augmenté de 25 %. En 2016, elles devraient encore croître de 20 %. Les énergies renouvelables, qui étaient auparavant une « niche », sont devenues une source d’énergie « standard » : aujourd’hui, plus de 50 % des capacités nouvelles de production d’énergie sont renouvelables…
Dans ce contexte, malgré leur récente reprise en Bourse, les actions du secteur de l’énergie peuvent paraître attrayantes. Cela dit, les investisseurs intéressés vont devoir se montrer « sélectifs ». Les grandes compagnies pétrolières intégrées sont quasiment pleinement valorisées, même si leur activité n’est pas « viable » avec un cours du pétrole en dessous de 60 $. De surcroît, la contraction des marges de raffinage, par rapport aux records de 2015, va avoir un impact négatif sur les profits du premier semestre 2016. Les actions des compagnies spécialisées dans l’exploration et la production semblent offrir un meilleur potentiel de hausse, notamment les producteurs de pétrole et de gaz de schiste nord-américains ayant de coûts de production très faible.
Enfin, dans l’univers des services et équipements gaziers et pétroliers, les entreprises qui ciblent le marché « onshore » américain seront les premières à bénéficier d’un regain d’activité, tandis que les entreprises « offshore » devront attendre 2018. La hausse des prix du pétrole met aussi à jour des opportunités en dehors du segment des hydrocarbures. Les actions des entreprises industrielles exposées aux infrastructures énergétiques et les entreprises spécialisées dans les énergies renouvelables, qui ont aussi souffert de la crise du pétrole, devraient désormais bénéficier du regain de confiance des investisseurs pour les secteurs liés à l’énergie.
Chez Robeco Investment Solutions, gestionnaire d’actifs d’origine néerlandaise, Lukas Daalder, le responsable de l’investissement, souligne que le pétrole « perd de sa capacité à choquer », car les risques afférents sont mieux anticipés sur les marchés financiers. Selon lui, avec le temps, l’impact positif de la baisse du prix de l’or noir sera mieux mis en relief. L’essentiel de sa réflexion porte sur trois points : la relation entre les cours du pétrole et des actions devrait se dégrader, la baisse des cours des actions a dorénavant été suffisamment anticipée, le cours du pétrole ne devrait pas retomber au bas niveau de 25 $.
« L’incroyable effondrement du cours du pétrole, rappelle le professionnel, a provoqué conjointement la chute des marchés actions. Ceci a principalement été dû à la croyance selon laquelle un faible prix du pétrole est négatif pour les entreprises liées aux secteurs de l’énergie et signifie un ralentissement économique. Les marchés ont ensuite enregistré une hausse, le cours du pétrole s’étant depuis redressé. »
Un rééquilibrage est en cours
Selon le responsable, la relation entre les cours du pétrole et le comportement des actions devrait se détériorer, car les marchés sont devenus bien plus conscients des risques. Cela ne l’empêche pas de tabler sur une amélioration de la dynamique des marchés. Le pétrole a été le thème dominant sur les marchés financiers en tout début d’année, agissant comme « catalyseur », tant pour la forte baisse des actions et du crédit que pour la reprise qui a eu lieu par la suite :
« Il y a eu une corrélation entre les niveaux intra-journaliers du S&P 500 par rapport à ceux du cours du West Texas Intermediate (WTI) et entre ceux du Stoxx 50 par rapport au cours du Brent. En règle générale, une baisse ou une hausse du cours du pétrole de 1 $ s’est traduite par un recul ou une progression d’environ 1 % sur les marchés d’actions. Étant donné que le pétrole se négocie dans une fourchette de 15 $ depuis le début de l’année, les actions ont elles aussi évolué à la baisse comme à la hausse dans une fourchette de 15 %. Toutefois, si l’on se fie au passé, il est clair que la relation de 1 % devrait à l’avenir s’atténuer. Les marchés se sont habitués à de faibles prix du pétrole et à sa volatilité, ce qui explique que l’on assiste à une perte d’intérêt de la part des marchés. Nous ne prétendons pas, nuance-t-il, que le pétrole n’est plus important. Nous nous demandons seulement si le pétrole restera aussi dominant qu’il l’a été, indépendamment de son évolution future. »
Les thèmes qui jouent un rôle majeur pour les marchés perdent de leur vigueur avec le temps, comme l’ont illustré les cas concernant les marchés obligataires de la périphérie européenne ou le plongeon des valeurs bancaires. Lorsqu’un thème est nouveau et inattendu, l’impact peut être considérable : les risques ne sont pas anticipés et les informations n’ont pas encore été pleinement prises en compte. Quand le pétrole se négociait à 70 $, presque personne ne s’attendait à la possibilité d’une nouvelle chute et, quand le niveau de 30 $ a été atteint, de grandes banques d’investissement ont publié des notes de recherche indiquant qu’un niveau de 20 $ était possible.
Le monde ne s’est pas pour autant arrêter de tourner ! Les entreprises publient des bénéfices. Les données économiques continuent à sortir. Les banques centrales adaptent leurs politiques monétaires.
« L’effondrement tant redouté n’a pas eu lieu », se félicite Lukas Daalder, qui reconnaît néanmoins que le marché est « capricieux ». D’après lui, même si la tendance générale est sans doute orientée « à la hausse », prévoir les cours du pétrole pour une période spécifique, relève de la gageure : il y a trop d’incertitudes, aussi bien en termes de demande quant à la croissance mondiale, la Chine et la transition structurelle vers des énergies alternatives, qu’en termes d’offre quant à l’exploitation du schiste aux États-Unis ou à l’Arabie Saoudite, qui défend sa part de marché. Un retour vers 25 $ est « peu probable ». Tant que l’offre est excédentaire, le potentiel de hausse est « pour le moment » limité. Selon l’Agence internationale de l’énergie, le rééquilibrage entre l’offre et la demande n’arrivera pas, au mieux, avant 2017.
Attention ! Les performances passées ne préjugent pas des performances futures.
Avant d’investir, consultez le Mémento de l’investisseur en Bourse.